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La flânerie comme méthode: À la recherche des cinémas Parisiens de l'entre-deux-guerres

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Abstract

L'urbanisme et l'architecture de l'après-guerre ont favorisé la disparition des cinémas construits pendant l'entre-deux-guerres : depuis la fin du conflit, la société du spectacle a bénéficié progressivement des possibilités lui permettant de regarder des images chez chacun, tout en rejetant le goût pour l'architecture sophistiquée et luxueuse qui caractérisait les cinémas des années vingt et trente. Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, la prolifération des "?multiplexes?" a condamné lentement l'ancienne architecture des cinémas soit à disparaître complètement - démolie ou dénaturée - du paysage urbain des grandes métropoles, soit à cacher ou enlever ses anciens attributs esthétiques et sémiotiques, alors que les nouveaux espaces créés pour la projection cinématographique font de plus en plus partie d'un genre architectural plus proche de la Bigness décrite par Koolhaas.

Keyword : cinema, flaneurie, paris cinema, flaneurie, paris

How to Cite
Andrés Avila Gomez. (2016). La flânerie comme méthode: À la recherche des cinémas Parisiens de l’entre-deux-guerres. Contour Journal, 1(1). Retrieved from https://contourjournal.org/index.php/contour/article/view/47
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Jun 30, 2016
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Jun 30, 2016
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Un

« Alors que l’architecture révèle, la Bigness mystifie ; la Bigness transforme la ville d’une somme de certitudes en une accumulation de mystères. L’habit ne fait plus le moine. »

Rem Koolhaas, Junkspace (2011)

L’urbanisme et l’architecture de l’après-guerre ont favorisé la disparition des cinémas construits pendant l’entre-deux-guerres : depuis la fin du conflit, la société du spectacle a bénéficié progressivement des possibilités lui permettant de regarder des images chez chacun, tout en rejetant le goût pour l’architecture sophistiquée et luxueuse qui caractérisait les cinémas des années vingt et trente.

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, la prolifération des « multiplexes » a condamné lentement l’ancienne architecture des cinémas soit à disparaître complètement — démolie ou dénaturée — du paysage urbain des grandes métropoles, soit à cacher ou enlever ses anciens attributs esthétiques et sémiotiques, alors que les nouveaux espaces créés pour la projection cinématographique font de plus en plus partie d’un genre architectural plus proche de la Bigness décrite par Koolhaas (2011, p.31)

Deux

« En el fondo –dijo Gregorovius-, París es una gran metáfora. »

Julio Cortázar, Rayuela (1987)

Paris, 1978 : tandis qu’un grand nombre d’anciens cinémas restaient ignorés par les communautés locales, par les professionnels — architectes, restaurateurs —, voire par les institutions chargées du patrimoine — municipales, régionales, nationales —, Georges Perec a évoqué dans les pages de Je me souviens, l’importance des salles de cinéma dans l’imaginaire collectif parisien. Dans les années 1970, l’historien de l’art Francis Lacloche a créé l’Association Eldorado pour l’histoire des salles de cinéma, étant un effort important mais isolé pour faire prendre conscience de l’importance de conserver et protéger les cinémas ayant survécus les démolitions et transformations des années 1960 et 1970. En 1981, M. Jack Lang (Ministre de la Culture) a pris l’initiative d’inscrire pour la première fois dans l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, deux bâtiments parisiens conçus exclusivement pour le cinéma : le Louxor (1921) et le Rex (1932). Perec (2004) mentionne le Panthéon, Les Agriculteurs, le Studio Universel, le Royal-Passy et le Gaumont Palace, parmi quelques autres.

Né à Paris, Perec a connu et fréquenté ces espaces construits ou aménagés pendant l’entre-deux-guerres pour accueillir le cinéma, le spectacle moderne par excellence : les années vingt et trente ont été la période d’essor de cette typologie architecturale au sein des grandes villes européennes et américaines. Paris, à la différence des autres grandes capitales européennes comme Londres et Berlin n’a pas connu un nombre important de cinémas exclusivement conçus pour la projection de films : la principale alternative a été l’aménagement ou l’adaptation progressive des espaces soit dans le rez-de-chaussée, soit dans le sous-sol des immeubles de logement et de bureaux.

Ayant abordé l’étude de cette architecture, ma première approche à l’histoire parisienne de cette typologie ne passait aucunement par le dépoussiérage des souvenirs « à la Perec » : récemment débarqué à Paris, ville que j’ai visitée pour la première fois il y a quatre ans, j’ai décidé plutôt d’imaginer une méthode étrangère à la recherche architecturale, en m’appuyant sur deux auteurs clés pour connaître Paris depuis une perspective littéraire : Charles Baudelaire — un Parisien — et Walter Benjamin — un Berlinois.

Trois

« La rue conduit celui qui flâne vers un temps révolu. »

Walter Benjamin, Sens unique (précédé de Enfance Berlinois) (2000)

Au fil de la lecture de Baudelaire et de Benjamin, je me suis particulièrement intéressé à la facette « detectivesque » caractérisant les rituels des flâneurs qui arpentait le labyrinthe de ruelles, de rues et de passages parisiens : pour les deux auteurs ainsi que pour de nombreux écrivains, photographes et réalisateurs de la première moitié du vingtième siècle, les rues des grandes capitales comme Paris ont été le cadre privilégié pour analyser et comprendre aussi que pour illustrer et décrire la modernité et les traces qu’elle laissait sur l’espace urbain. Il faut citer notamment le cas berlinois : la camera de Ruttmann dans le film Berlin: Die Sinfonie der Großstadt (Walther Ruttmann, 1927) ; et l’aventure de Franz Biberkopf à Berlin Alexanderplatz (Alfred Döblin, 1929).

Aujourd’hui relégués au sein du paysage urbain, les cinémas qui ont survécu aux décennies d’oubli et de destruction, n’occupent plus une place privilégiée que dans l’imaginaire des générations de Parisiens plus âgés, car ces « cinoches » survivants ne constituent — sauf quelques rares exceptions — des véritables « points de repère » (Dans le sens donné par Kevin Lynch au concept de landmark [10]) à l’intérieur de la ville, dépourvus massivement de leur valeur comme icônes de la métropole simmelienne et comme symboles de la fantasmagorie engendrée par le fétichisme de la marchandise.

Quatre

« Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose. Mais s’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt demande toute une éducation. »

Walter Benjamin, Sens unique (précédé de Enfance Berlinois) (2000)

La quête des cinémas parisiens moyennant une approche qui ne prend pas comme référence les rares études sur cette typologie architecturale développée par les historiens de l’architecture [11, 8] a constitué dans le cadre de ma recherche une expérience assez enrichissante puisque mon intérêt a dépassé rapidement la préoccupation pour connaître l’objet architectural — son architecture extérieure et intérieure —, en me menant à aborder et à approfondir sur les aspects culturels et sociaux liés aux bâtiments en question.

Ainsi, la découverte des « vestiges » de chaque cinéma parisien visité a exigé au préalable de me plonger dans autres savoirs — la littérature, la sociologie — et autres pratiques spécifiques, pour finalement choisir de m’égarer dans la ville dans le sens benjaminien, en me servant des souvenirs des autres.

Cinq

« Polysémique, labyrinthique, insaisissable, la thématique du flâneur échappe à toute saisie, devenant métaphore, objet-signe, trope, phénomène qui se rejoue aujourd’hui. »

Régine Robin, L’écriture flâneuse (2005)

De nos jours, à une époque où des nombreux architectes et urbanistes dénoncent la « muséification » de Paris, l’architecture de cinémas semble pourtant être une typologie ayant particulièrement subi les successifs élans destructeurs de la postmodernité : c’est dans les cartes postales et les photos dans les revues d’architecture ou dans les journaux de l’époque où il faudrait trouver les images des cinémas parisiens disparus, tels que le Rochechouart-Aubert (18e arrondissement, disparu en 1969), le Gaumont Palace (18e arrondissement, disparu en 1973), le Marcadet (18e arrondissement, disparu en 1974), le Palais Avron (20e arrondissement, disparu en 1977), ou le Lux-Bastille (12e arrondissement, disparu en 1984).

Compte tenu des principales pertes repérées, j’ai envisagé une dizaine de journées de flânerie inspirées dans celles décrites par auteurs comme Fargue [2], Aragon [7], Queneau [13] ou Cortázar [6], dans le but de constituer un corpus d’images photographiques représentatives montrant la dimension architecturale et urbaine de l’architecture consacrée au cinéma construite pendant l’entre-deux-guerres.

Grand marcheur, mon itinéraire a été fait dans une dizaine de journées de flânerie en me servant d’un plan avec les noms des rues, mais sans leurs numéros d’un certain nombre de cinémas afin d’aller les chercher suivant l’ordre respectif de leur arrondissement : mes promenades n’ont pas été un exercice de dérive situationniste.

Six

« Me voici au terme de mon voyage sentimental et pittoresque dans un Paris qui n’est plus, dans un Paris dont les prolongements ne nous parviennent déjà plus que sous forme de souvenirs chaque jour plus pâles. »

Leon-Paul Farque, Le piéton de Paris (2007)

En paraphrasant Fargue, « mon voyage sentimental et pittoresque dans un Paris qui n’est plus », a été organisé tout en suivant la logique simple, mais pratique déjà décrite, au cours duquel j’ai photographié une trentaine de cinémas.

Je présente ensuite une sélection de photos des plus importants cinémas parisiens survivants ainsi que de certains autres plus récents, organisées d’après un critère géographique évident et fondamental au moment d’étudier n’importe quel phénomène ayant eu lieu à Paris : la division Rive droite (la partie nord de la ville, par rapport à la Seine, contenant 14 arrondissements) — Rive gauche (la partie sud de la ville, par rapport à la Seine, contenant 6 arrondissements).

Figure 2Rex : 1 Bd Poissonnière, 2e arrondissement, Rive droite (1932)

Figure 3Pasquier : 44 Rue Pasquier, 9e arrondissement, Rive droite (1938)

Figure 4Louxor : 170 Bd de Magenta, 10e arrondissement, Rive droite (1921)

Figure 5Gambetta : 6 Rue Belgrand, 20e arrondissement, Rive droite (1920)

Figure 6Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 5e arrondissement, Rive gauche (1926)

Figure 7Panthéon : 13 Rue Victor Cousin, 5e arrondissement, Rive gauche (1930)

Figure 8Le Champo : 51 Rue des Ecoles, 5e arrondissement, Rive gauche (1938)

Figure 9Danton : 99 Bd Saint-Germain, 6 e arrondissement, Rive gauche (1920)

References

  1. Adorno, T. W. (2001) Sur Walter Benjamin. Paris : Gallimard (1° éd. en allemand : 1970) .
  2. Aragon, L. (1976) Le paysan de Paris. Paris : Gallimard (1° éd. 1926) .
  3. Benjamin, W. (2000) Sens unique (précédé de Enfance Berlinoise). Paris : Les Editions 10/18 (1° éd. en allemand : 1955 et 1950) .
  4. Benjamin, W. (2006) Paris, capitale du XIX siècle. Le livre des passages. Paris : Les Editions du Cerf (1° éd. en allemand : 1982) .
  5. Benjamin, W. (2011) Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme. Paris : Payot & Rivages (1° éd. en allemand : 1955) .
  6. Cortázar, J. (1987) Rayuela. Madrid : Alianza Editorial (1° éd. en espagnol : 1963) .
  7. Fargue, L-P. (2007) Le piéton de Paris. Paris : Gallimard (1° éd. 1939) .
  8. Hosseinabadi, S. (2012) Une histoire architecturale de cinémas. Genèse et métamorphoses de l’architecture cinématographique à Paris. Thèse en Histoire de l’Architecture, Université de Strasbourg, Strasbourg. .
  9. Koolhaas, R. (2011) Junkspace. Paris : Editions Payot & Rivages (1° éd. en anglais : 1995) .
  10. Lynch, K. (1969) L’image de la cité. Paris : Dunod (1° éd. en anglais : 1960) .
  11. Meusy, J-J. (1995) Paris-Palaces ou le temps des cinémas, 1894-1918. Paris : CNRS Editions / Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma - AFRHC .
  12. Perec, G. (2004) Je me souviens. Paris : Hachette (1° éd. 1978) .
  13. Queneau, R. (2005) Zazie dans le métro. Paris : Gallimard (1° éd. 1959) .
  14. Robin, R. (2005) L’écriture flâneuse. Dans : Capitales de la modernité. Walter Benjamin et la ville, (pp. 37-64). Paris : Editions de l’éclat .

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